« La mort de l’homme que j’ai désiré/e » : arrêter la supercherie et retrouver la raison

Dès qu’il s’agit de s’opposer à la rationalisation de l’accord du participe passé en français, les puristes de tous poils de toute la francophonie se cramponnent au même exemple paré de pouvoirs magiques : « la mort de l’homme que j’ai tant désiré/e ». Cet exemple, qui ne marche ni à l’oral ni au féminin (« la mort de la femme que j’ai tant désirée »), est censé prouver que l’accord avec le COD antéposé peut servir à lever une ambigüité et donc peut avoir une utilité.

L’exemple refait un petit tour de piste dans les médias depuis la semaine passée : Alain Bentolila le met en avant dans un entretien pour Ouest France.

Emoji crâne de squelette avec trois cœurs.Toujours le même exemple…

Le fait que tous les conservateurs ressortent le même seul et unique exemple devrait déjà mettre la puce à l’oreille : cela montre qu’il est difficile d’en trouver. « Les épices de la pizza que j’ai gouté » ne pose aucun problème d’interprétation. On nous sert donc la tournure improbable de « la mort de l’homme que j’ai tant désiré », exemple tellement mauvais qu’il est sidérant de voir qu’il a encore un pouvoir de conviction. Ce pouvoir embrouille la raison : pulvérisons-le en y réfléchissant.

L’ambigüité est consubstantielle au langage

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une phrase, mais d’un syntagme nominal. On peut lever l’ambigüité en construisant toute la phrase, tout simplement. « La mort de l’homme que j’ai désiré me plonge dans une immense détresse » / « me remplit de joie ».

Mais plus généralement, l’ambigüité des structures est banale dans les langues. Il est très fréquent qu’on ait besoin du contexte pour interpréter, ou bien qu’on doive soigner les structures pour éviter une ambigüité fâcheuse. Ici, aucun temps simple ne permettrait de lever l’ambigüité (« la mort de l’homme que je désire / que je désirais » : on se débrouillerait aisément pour construire autrement la phrase).

L’ambigüité, ici, vient de la possibilité de rattachement de la relative au premier ou au second nom, nullement de l’accord du participe passé. Une tournure comme « montre pour enfant en or » pose le même genre de problème : c’est la vraisemblance qui nous permet de rattacher « en or » à « montre » plutôt qu’à « enfant » et non la syntaxe. La liste des ambigüités structurelles en français est extrêmement longue. Un simple « l’amour de ta voisine » est ambigu hors contexte : « ta voisine t’aime », ou « tu aimes ta voisine » ?

Il y a de nombreux ouvrages sur les structures ambigües ! Le sujet est intéressant. Nul besoin de le convoquer pour garder sous respiration artificielle pendant encore quelques siècles une règle inutile et faisant l’objet de tant d’exceptions qu’elle en est devenue inenseignable.

Pour une approche réflexive de la grammaire

Plus généralement, l’enseignement de la grammaire à travers des règles opaques et dépourvues de sens empêche la maitrise de la langue et ne fait que semer de l’insécurité linguistique. Une approche réflexive de la grammaire, en revanche, permettrait de mieux comprendre le fonctionnement de la langue et mieux se l’approprier.

 

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Conseil de la Langue française, des Langues régionales endogènes et des Politiques linguistiques. (2023). Avis d’initiative n°3 relatif à l’invariabilité du participe passé (PP) employé avec avoir. Administration générale de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles. https://www.culture.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=b803dfdfcdd9f2c0ed73fc354f2fe49ffa32185b&file=fileadmin/sites/culture/upload/culture_super_editor/culture_editor/documents/Gouvernance_culturelle/Conseil_LF/CLPL-avis_init3-20230626.pdf